Le gisement des emballages ménagers tourne autour de 5 millions de tonnes par an depuis plusieurs années. "Si le poids des emballages a baissé, il y a plus d’unités d’emballages et donc la somme reste identique", relève Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce, qui salue l’ambition du décret fixant la proportion a minima d'emballages réemployés mis sur le marché, paru ce 9 avril, et dont l’efficacité dépendra selon lui des modalités de mise en œuvre. Ce texte pris en application de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec) -articles 9 et 67 - s’appuie en effet sur la trajectoire nationale progressive visant à augmenter la part des emballages réemployés mis en marché par rapport aux emballages à usage unique, de manière à atteindre une proportion annuelle d’emballages réemployés de 5% en 2023 (exprimés en unité de vente ou équivalent) et 10% à horizon 2027. Consultée au printemps 2021 au stade du projet, l'association Amorce s’était déjà montrée plutôt réservée sur ce décret "en demi-teinte qui fixe une trajectoire mais reste imprécis sur les mesures opérationnelles concrètes".
Le décret précise tout d’abord la définition d’un "emballage réemployé ou réutilisé" en visant ceux "faisant l'objet d'au moins une deuxième utilisation pour un usage de même nature que celui pour lequel il a été conçu, et dont le réemploi ou la réutilisation est organisé par ou pour le compte du producteur", y compris pour de la vente en vrac ou à domicile s’il s’agit d’un dispositif de recharge. Cette définition marque une évolution, remarque Delphine Hervier, chargée de mission Prévention et valorisation organique auprès d'Amorce, puisque le texte occultait initialement l’aspect réutilisation (c’est-à-dire un nouvel usage après une opération de contrôle ou de nettoyage, par exemple) pour se centrer uniquement sur le réemploi (sur la différence entre réutilisation et réemploi, voir par exemple les définitions qu'en donne l'Ademe).
L'unité de mesure des emballages réemployés ou réutilisés correspond à chaque emballage qu'il soit primaire (contenant au contact du produit), secondaire (regroupant les produits en unité d’achat), ou tertiaire (palette). Le texte permet toutefois une alternative aux règles de comptabilisation des unités de vente en utilisant le demi-litre ou 500 grammes s’il est justifié qu’ils sont plus adaptés aux produits emballés.
Sont exclus de l’objectif notamment les emballages pour lesquels la réglementation interdit le réemploi ou la réutilisation "en raison d'impératifs d'hygiène ou de sécurité du consommateur". Par ailleurs, l’obligation est repoussée à 2025 pour les emballages de produits dont les cahiers des charges des signes d'identification de la qualité et de l’origine (label rouge, AOC, IGP, mention AB…) interdisent le réemploi ou la réutilisation de leur emballage. Cette zone d’exclusion participe à entretenir "le flou", souligne Nicolas Garnier. Il y a ainsi à ses yeux encore un certain nombre de "voiles à lever" pour s’assurer que la mesure va bien impacter la quasi-totalité des metteurs sur le marché sur la quasi-totalité des emballages.
Lors de la consultation, un consensus s'était dégagé sur le périmètre des assujettis : "tout producteur responsable de la mise sur le marché d'au moins dix mille unités de produits emballés par an ainsi que tout éco-organisme agréé pour les emballages", précise le texte. S’agissant des taux, Delphine Hervier, estime en revanche que l’adaptation de la temporalité de l’obligation par palier de 2023 à 2027 en fonction du chiffre d’affaires des producteurs - inférieur à 20 millions d’euros, entre 20 et 50 millions d’euros, supérieur à 50 millions d’euros - est une source de complexité d’autant que la "dissémination d’objectifs" va être plus difficile à contrôler. Amorce reste également assez "dubitative" sur le réalisme des échelons de mise en oeuvre.
Le décret prévoit la possibilité pour les producteurs assujettis de se regrouper au sein d’une structure collective ou de s’appuyer sur leur éco-organisme pour remplir leur obligation d’emballages réemployés. On touche là un point sensible pour Amorce. Il n’y a aucune trace dans le texte d’indicateurs de suivi et de modalités de contrôle indépendantes. "Le décret aurait mérité d’être plus précis sur la manière dont le dispositif va être contrôlé, il ne faudrait pas que ce soit l’éco-organisme ‘juge et partie’ qui s’auto-contrôle", alerte Nicolas Garnier. Il est certes fait mention de la communication annuelle à l'autorité administrative mentionnée à l'article L. 541-10-13, autrement dit à l’Ademe, par les assujettis de la quantité totale d'emballages qu’eux-mêmes (ou leurs adhérents) ont mis sur le marché ainsi que la proportion d'emballages réemployés ou réutilisés. Mais, pour Nicolas Garnier, "le fait de transmettre des informations ne garantit pas le processus de contrôle".
Le projet de décret prévoyait en parallèle le lancement de travaux par l’Observatoire du réemploi visant à conseiller et accompagner les démarches de réemploi qui seront progressivement mises en place par les producteurs. Ce n’est plus le cas. Ce "monitoring" est occulté et l’Observatoire du réemploi n’est d’ailleurs toujours pas opérationnel.
Quant au dispositif de sanction il est à proprement parler inexistant sur la partie qui fait l’essence du décret, c’est-à-dire la proportion minimale d’emballages déployés à mettre sur le marché annuellement. Amorce attend l'éclairage de la direction générale de la prévention des risques (DGPR). Autre aspect "déconcertant", relève Delphine Hervier, les sanctions listées dans l’article premier du décret renvoient à un autre article du code de l’environnement (L. 541-15-10) visant à limiter la mise à disposition de produits jetables à usage unique et figuraient déjà peu ou prou sous cette forme dans un précédent décret de la loi Agec (n° 2020-1724 du 28 décembre 2020).
Il s’agit peut être "d’une des premières mesures structurantes pour que la REP soit aussi un outil de prévention", accorde Nicolas Garnier. Le sujet va être de savoir si la population est prête à adhérer aux solutions de réemploi pour permettre un déploiement à grande échelle au-delà de certains cercles militants. "Une partie du processus de réemploi ne se joue pas simplement dans ce décret mais dans les modalités de mise en oeuvre en particulier d’encouragement financier", souligne-t-il. Le risque est bel et bien que les fonds alloués à l’accompagnement des metteurs sur le marché et à la culture du réemploi ne viennent en soustraction des aides aux collectivités territoriales pour faire la collecte sélective.
Un peu partout collectivités, entreprises et associations expérimentent des dispositifs de réemploi (avec des vignerons, des brasseurs, par exemple). D’où la crainte également d’un certain nombre de collectivités qu’avec l’arrivée du "rouleau compresseur" Citéo dans le jeu, des initiatives locales de réemploi s’appuyant sur l’économie sociale et solidaire ne soient remises en cause, explique Nicolas Garnier, témoignant d’une "volonté de préservation de l’existant". Qui plus est, Amorce a déjà été échaudée par la "fausse bonne idée de la ‘consigne’ sur les bouteilles en plastique". "La question du réemploi part d’une très bonne intention mais ce n’est pas si simple", remarque-t-il. "Il y a aussi un débat moins binaire que réemployable non réemployable tenant au bilan environnemental de ces formes de réemploi avec des choix de matériaux qui ne sont pas tous vertueux", résume-t-il. Le plastique suppose par exemple, des emballages "plus épais", "donc vous faites du réemploi mais vous consommez au final trois plus de matière". "Il va falloir apprendre en marchant… dans un an on pourra se dire si cela a fonctionné ou si nos réserves se sont avérées exactes", conclut le délégué général d’Amorce.
Référence : décret n° 2022-507 du 8 avril 2022 relatif à la proportion minimale d'emballages réemployés à mettre sur le marché annuellement, JO du 9 avril 2022, texte n° 3. |
ncG1vNJzZmivp6x7o63NqqyenJWowaa%2B0aKrqKGimsBvstFoo6ihXZqwsLrOpqCeZZOev6TBy5qgq51dlrqwvsKeZKmnmaPBpnnLnqpmsp%2BjsrR5w55kn6SfqnqlwYydnJyqlal6tMHRZqOeZaKasq68y6igZpyVqHqmucGao6WZl5rA